Compétition internationale

Édito — Depuis sa création en 2009, Filmer le Travail entend témoigner de ces quelques cent mille heures qu’on passerait, pendant notre vie, au travail. Si cette ligne éditoriale a une ambition informative et réflexive, elle ne passe pas néanmoins par la forme didactique ou démonstrative que prennent trop souvent les documents audiovisuels. Elle s’exprime dans une sélection d’oeuvres dont les écritures cinématographiques soignées sauront nous raconter les hommes et les femmes au travail : de l’intonation d’une voix à la lueur d’un regard, dans la vibration d’une image et l’émotion qu’elle communique, autant de voies d’accès sensibles aux réalités du travail. 17 films forts ont retenu notre attention cette année.

Certains nous invitent à voir comment le travail renouvelle ses formes quand il s’inscrit dans un élan collectif, citoyen et créatif : dans « Eclaireuses » de Lydie Whisshaupt-Claudel, Marie et Juliette inventent une école sans répression et sans « élèves » ; dans « Todas por uma » de Jeanne Dosse, c’est la force de la création théâtrale qui fait naître, sous l’impulsion de la vitalité solaire d’Ariane Mnouchkine, un collectif de femmes brésiliennes délivrées des discriminations de leur société ; dans « Commune commune » de Dorine Brunet et Sarah Jacquet, les habitants de Saillans, dans la Drôme, font l’expérience du travail difficile de l’autogestion de leur petite ville. « Nous enfuir sur un char ailé » de Noa Roquet raconte comment des voix féminines peuvent se délier dans un implacable réquisitoire contre leur exploitation.

D’autres films de notre sélection passent par une écriture plus intime, celle de portraits, pour parler de ce qui blesse ou de ce qui élève, dans des métiers pourtant dûment répertoriés : dans « Quand je vous caresse » de Florine Clap, une aide-soignante délaisse les stéréotypes de son métier pour un film sincère ; dans « Le passage du col », Marie Bottois raconte, à la première personne, la relation engagée avec la sage-femme qui renouvelle son stérilet ; dans « Vingt ans sans ferme » de Céline Dréan et Jean-Jacques Rault, le réalisateur réveille la blessure de la séparation d’avec sa terre qu’il a été obligé de quitter il y a plus de 20 ans.

Dans un genre de films souvent trop formaté (le récit d’une lutte au travail), la démarche brute mais si humaine du cinéma direct de « Io resto » de Michele Aiello nous fait partager la lutte des soignants dans un hôpital italien pendant les années COVID ; derrière le combat quotidien des étudiants de l’université de Bangui, « Nous étudiants » de Rafiki Fariala brosse la corruption en République Centrafricaine ; « Relaxe » de Audrey Ginestet nous fait suivre la préparation des femmes pour se défendre face à la machine judiciaire dans l’affaire « Tarnac ». Urban solutions de Minze Tummescheit, Luciana Mazeto, Vinícius Lopes et Arne Hector met en scène, dans le Brésil contemporain, la prise de conscience de l’exploitation des gardiens d’immeubles huppés réveillée par les œuvres d’un peintre européen des années coloniales.

Nous avons enfin retenu trois films où la question des migrants et de leur insertion dans une nouvelle société est le propos-clé. Dans « Soldat Ahmet » de Jannis Lenz, un fils de migrants turcs cherche son identité : comment sortira-t-il des stéréotypes qui lui sont imposés ? Dans «Voix croisées » de Raphaël Grisey et Bouba Touré, l’aventure étonnante d’une coopérative agricole, fondée dans leur pays natal par des migrants maliens en France, cristallise, avec d’étonnantes archives, les luttes des ouvriers africains exilés. « Ressources » de Hubert Caron-Guay et Serge-Olivier Rondeau raconte par le menu le conditionnement implacable de demandeurs d’asile mexicains dans l’industrie de la viande du Québec.

Il vous restera encore à suivre les aventures de « Motorrodillo », de « Agrilogistics » et de « Ramboy » (dont on ne vous dira rien de peur de gâcher le plaisir de leur découverte) trois révélations réjouissantes pour vous rappeler encore que Filmer le Travail sait donner la parole à toutes les écritures du travail, au cinéma, aujourd’hui.

Le comité de sélection


Nicolas Contant, directeur de la photographie / Patrick Métais,  auteur-réalisateur de programmes documentaires et ancien Conseiller d’Education Populaire et de Jeunesse  / Maïté Peltier, directrice artistique et déléguée générale du festival Filmer le travail / Jean-Claude Rullier, enseignant de cinéma, créateur et animateur du Pôle d’éducation à l’image de Poitou-Charentes / Thanassis Vassiliou, maître de conférences en études cinématographiques, Université de Poitiers / Marie Quesney, enseignante d’espagnol