Rétrospective de films 2022

LE TRAVAIL DE LA TERRE : POUR UNE CONTINUITÉ DE L’EXPÉRIENCE HUMAINE

Une programmation conçue avec Federico Rossin, programmateur et historien du cinéma

 

Le cinéma avant le boom économique des années 1960 a souvent raconté des histoires liées à la terre, et tout un imaginaire autour de la figure du paysan s’est ainsi formé : des histoires héritées du roman naturaliste du XIXème siècle. Mais à partir de l’industrialisation de l’agriculture et de l’économie, tout a changé : la paysannerie a perdu le centre de la scène et tout un monde a été oublié. C’est alors que le film documentaire a pris le relai : d’abord pour signaler cet oubli mortifère, ensuite pour dénoncer les dégâts de l’environnement, et aujourd’hui pour raconter l’utopie d’un retour possible à la terre.

 

Avec cette programmation nous essayons de vous raconter cette trajectoire, qui relève à la fois de l’Histoire tout court et de l’histoire des formes filmiques : car le cinéma est toujours un révélateur impitoyable des changements dans la vie, des glissements dans l’horizon, des ruptures dans la société que l’on voudrait trop souvent ne pas voir ou oublier. Le cinéma, comme la charrue, laisse des traces, arpente le paysage, configure le champ (du visible).

L’épique a été souvent la forme du récit de cette histoire populaire : si le nom d’Artavazd Pelechian et ses Saisons nous a semblé tout de suite fondamental, un chantre sans pairs a été aussi sans doute Youssef Chahine, qui réalise avec La Terre une ballade populaire célébrant sans angélisme l’attachement viscéral des paysans à leur lopin. Ces paysans égyptiens en lutte nous rappellent d’emblée les travailleurs sans terre brésiliens filmés par Camila Freitas dans Chão, dans leur parcours d’émancipation et de résilience, d’autodétermination et de réinvention. Et ce souffle épique on le retrouve aussi dans Comrades de Bill Douglas, qui en racontant une histoire de résistance se déroulant au XIXème siècle, arrivait à parler des ravages du néolibéralisme de Margaret Thatcher.

Souvent le documentaire a dénoncé la destruction de l’écosystème : Paul Leduc au Mexique avec Ethnocide, Johan van der Keuken aux Pays-Bas dans La Jungle plate, Peter Nestler en Laponie avec Die Nordkalotte, ont réalisé des œuvres marquantes, contre toute dépossession symbolique et déformation médiatique.

Mais si le constat sous nos yeux est amer, des fort signes d’espoir nous arrivent de trois films : Safrana ou le droit à la parole de Sidney Sokhona, véritable ovni d’une expérience d’émancipation agricole qui a commencé dans un film pour ensuite s’inscrire dans la réalité ; le burlesque soviétique Le Bonheur d’Alexandre Medvedkine ; et l’épopée militante des paysans japonais en guerre contre l’état de Kashima Paradise de Yann Le Masson et Bénie Deswarte.

Et pour terminer, quatre portraits : le magistral Bandits à Orgosolo de Vittorio De Seta, un chef d’œuvre héritier du néoréalisme, monumental par la rigueur de sa forme et son éthique ; Homo botanicus de Guillermo Quintero, une quête qui nous plonge dans la poésie d’un botaniste et son obsession de comprendre et sauvegarder l’histoire de la Nature ; La Fièvre de Maya Da-Rin, conte mystérieux de la vie et des rêves d’un indigène brésilien ; et Urszula et le prix de la liberté de Marcel Łoziński, une leçon de vie qui nous est donnée avec douceur et fermeté par une paysanne-lectrice du fin fond de la Pologne.

Federico Rossin