8e Festival international
10-19 février 2017, Poitiers
On a parfois tendance à l’oublier, mais le travail nous protège. Tout au long du 20e siècle, des régulations collectives (droit du travail, conventions collectives, assurances sociales) ont permis de protéger les tra- vailleurs et l’ensemble des citoyens. La 8e édition du festival Filmer le travail nous le rappellera à plusieurs occasions. D’abord avec Bernard Friot lors de sa confé- rence gesticulée sur l’histoire de la sécurité sociale et les conditions d’émancipation du travail. Ensuite par les détours que nous emprunterons par l’histoire avec l’archive Enquête sur la mort d’un ouvrier de Jean-Émile Jeannesson ou dans des pays aux droits sociaux moins établis, comme par exemple en Patagonie avec Zona Franca de Georgi Lazarevski qui sera présenté en avant- première et en ouverture du festival, ou au Mexique avec Arena Mexico d’Anne-Lise Michoud. L’Europe ne fait toutefois pas exception en terme de précarité comme nous le rappelle le lumineux Brothers of the night de Patric Chiha, sur un sujet pourtant difficile.
Mais le travail nous expose également. Le chômage, le développement de la précarité, le recours aux travail- leurs intérimaires, détachés ou aux auto-entrepreneurs ont ainsi favorisé les situations d’emploi et de travail plus exposées aux risques physiques et à l’insécurité sociale. La journée d’études accessible à tous et intitulée « Tous entrepreneurs ? » posera cette question des droits sociaux dans les situations aux marges du salariat, que viendra étayer le film de Ken Loach It’s a free world. Par ailleurs, des risques ont été rendus invisibles parce qu’ils ont été délocalisés dans des lieux de production aux réglementations bien moins protectrices. Ils ne deviennent alors apparents que lorsque des catas- trophes surviennent, comme l’effondrement de l’im- meuble du Rana Plaza au Bangladesh en 2013. Les portraits d’ouvrières rescapées de ce drame, réalisés par le photographe Jean-François Fort, seront exposés sur l’esplanade de la mairie durant tout le mois de février. D’autres risques sont soit sous-estimés, comme ceux liés au nucléaire (Pripyat de Nikolaus Geyrhalter sur Tchernobyl) ou déniés par de puissants intérêts comme dans « le scandale de l’amiante » ou celui des pesticides (spectacle de théâtre Europe Connexion mis en scène par Matthieu Roy, table ronde sur les risques chimiques et projection en avant-première du film Les sentinelles de Pierre Pezerat).
Face à ces situations, les travailleurs cherchent à amé- liorer leurs conditions de travail et d’existence. Ils le font d’abord dans leurs collectifs de travail, notamment par la solidarité et la convivialité (exposition « Bonjour collègues ! » et conférence d’Anne Monjaret « Les fêtes dans les espaces professionnels»). Ils le font égale- ment en inventant de nouvelles pratiques, alternatives, plus respectueuses des hommes et de leur environne- ment (séquence sur l’agro-écologie et le film Wild plants de Nicolas Humbert, présenté en avant-première).
Cette tension du travail entre risques et protections émaillera d’autres moments du festival, dont le grand temps fort que constitue la compétition internatio- nale, ainsi que la sélection consacrée au « cinéma d’ailleurs», portée par Federico Rossin, qui mettra cette année le cinéma espagnol à l’honneur. Nous retrouverons aussi le concours « Filme ton travail ! », le concours de scénarios, la rubrique « Écouter le tra- vail » avec une carte blanche confiée à Rémi Douat et une autre au Master CRÉADOC, le moment consacré à « La fabrique des images du travail » durant lequel la réalisatrice Perrine Michel présentera le film qu’elle réalise actuellement, une double soirée de films consa- crée à un métier du cinéma et un hommage au réalisa- teur Abbas Kiarostami. Cette édition sera également marquée par quelques nouveautés : la réalisation, par les élèves en usinage et chaudronnerie du lycée pro- fessionnel Réaumur de Poitiers, d’un trophée pour le Grand Prix Filmer le travail et la création d’un Prix des détenus en partenariat avec le SPIP86. À noter enfin la présence exceptionnelle de Phill Niblock, pionner de la musique expérimentale, qui viendra de New York présenter une de ses œuvres majeures, The Movement Of People Working.