
PALMARÈS 2025
Découvrez les films primés !
S’intéresser à la question du travail des artistes aujourd’hui, est une question d’emblée politique : quels regards portent les artistes sur le monde qui les entoure ? Comment la manière de les considérer, ou de les déconsidérer, de soutenir leur travail, de le rendre visible, reflète-t-elle l’état et la nature de nos sociétés ?
Au fil de cette édition qui entremêlera cinéma, recherche, littérature et création artistique, nous nous interrogerons sur ce que le travail artistique représente, recouvre, induit au croisement de considérations esthétiques, économiques et sociétales.
Pour reprendre la formule de Walter Benjamin, nous prendrons « l’histoire à rebrousse-poil » en nous intéressant aux artistes méconnus ou oubliés de l’histoire de l’art, aux rapports de dominations et d’exploitation qui s’y exercent et à la possibilité d’une émancipation par la création. En parcourant l’histoire des genres et des formes, nous interrogerons la place des femmes dans l’art, la diversité dans les milieux artistiques, la précarisation de certains métiers, la restitution des œuvres, la situation des artistes en exil.
Côté cinéma, notre attention s’est portée vers des films rares et inédits qui mettent en avant des figures d’artistes marginaux, absent·es de l’histoire de l’art officielle, qui travaillent en dehors des circuits dominants, censurés dans leur pays, qui luttent face à l’injustice, le racisme, l’oppression (les films d’Alain Gomis, de Larry Clark) ; des artistes femmes (la peintre Aloïse Corbaz, la poétesse Fumiko Nakajo) redécouvertes grâce aux cinéastes féministes Liliane de Kermadec et Kinayo Tanaka, dont les films ont été restaurés récemment. Cette rétrospective, concoctée en partie avec l’historien du cinéma Federico Rossin, croise les genres, les époques (des années 1950 aux années 2020) et les territoires (Japon, USA, Iran, Palestine, Chili…), elle mêle des films de fiction d’une beauté saisissante (Close-up d’Abbas Kiarostami, Van Gogh de Maurice Pialat) à des documentaires plus rares d’Alain Tanner ou de la cinéaste chilienne Marilú Mallet. Des films qui nous interpellent par leur fantaisie (Oncle Yanco, Tableau avec chute), leur tonalité tragi-comique (It Must Be Heaven) la puissance de la création qui les traverse (Pina Bausch vue par Chantal Akerman) ou la radicalité de leur proposition, comme l’explosif Passing Through, de Larry Clark, cinéaste de la L.A. Rebellion, qui raconte l’émancipation des musiciens noirs par le jazz.
D’autres films viendront prolonger cette rétrospective. Lucie perd son cheval, épopée poétique sur les difficultés que rencontrent les artistes quand la culture est à l’arrêt ; le magnifique Step Across The Border, portrait libre de Fred Frith, qui sera montré en copie 35mm ; l’extraordinaire moment de joie collective qu’a représenté le festival Panafricain d’Alger en 1969 filmé par William Klein, ou encore le portrait d’une artiste queer russe qui s’oppose par l’art à la violence politique de son pays.
Le programme est riche aussi pour le jeune public, de la maternelle au lycée, avec des films qui explorent la thématique sous des angles variés (Le Roi et l’Oiseau de Paul Grimault et Jacques Prévert ; La Mort de Danton d’Alice Diop ; Cent enfants qui attendent un train d’Ignacio Agüero, etc.)
Autres temps forts de cette édition : la mise à l’honneur de deux artistes aux parcours atypiques et aux engagements radicaux : Delphine Seyrig, actrice et vidéaste féministe, pionnière de la vidéo militante, engagée contre toutes les formes de dominations, notamment dans le milieu du cinéma et Med Hondo, cinéaste franco-mauritanien inclassable, dont l’œuvre dénonce la colonisation avec une inventivité formelle et une rage contestataire puissante.
Côté recherche, des regards croisés co-organisés avec des laboratoires de l’Université de Poitiers mettront en dialogue des chercheurs·euses et des cinéastes autour de questions reliées à la thématique centrale : la censure qui pèse sur les artistes femmes originaires d’Iran et de l’Afghanistan et leur émancipation par l’art ; les rapports de domination à l’œuvre dans l’art contemporain, à travers l’exemple des gardiens de musées ; la question des restitutions des œuvres et l’urgence de repenser l’institution muséale, en présence de Françoise Vergès historienne, politologue, militante féministe et décoloniale ; l’importance de mettre en récits les cinémas empêchés par les violences de l’histoire, pour raconter une autre histoire du cinéma.
Des temps de rencontres seront proposés autour de questions d’actualité : les inégalités de salaires et les violences de genre dans les milieux artistiques en présence de la sociologue de l’art Marie Buscatto et de l’écrivain et militant Aurélien Catin ; la place des femmes dans l’art, entre inclusion et parité, à l’occasion d’une table ronde réunissant plusieurs directrices de structures locales et une administratrice du collectif 50/50.
Une table ronde portée par les Amis du Monde diplomatique s’ouvrira à quelques grands enjeux du travail contemporain, tout en abordant la question du travail artistique, dans le contexte du désengagement decertaines collectivités territoriales ; enfin une rencontre portée par NAAIS et la Tribune des auteurs pointera les dangers qui menacent aujourd’hui les cinéastes documentaires, entre précarité, surveillance et ingérence.
Sur le versant de la création artistique, Filmer le travail s’associe à l’exposition La Musée, collection de plus de 500 œuvres réalisées par des artistes femmes, à travers une visite et une conférence sur les estampes et les miniatures abordées au prisme du genre. Une conférence sur la difficulté de saisir par l’image l’acte de création sera proposée à l’auditorium du musée.
Côté spectacle vivant, le spectacle proposé par le Meta, CDN de Poitiers, I’m deranged de la comédienne iranienne Mina Kavani sur la douleur de l’exil, prolongera les réflexions de l’après-midi avec le laboratoire Migrinter. En partenariat avec le Lieu multiple, le ciné-concert 360° Nord sera l’occasion d’embarquer sur les mers de l’Atlantique aux côtés d’Anita Conti, pionnière de l’océanographie, poète, photographe, dont le magnifique film Racleurs d’océans sera mis en musique par la violoniste Carla Pallone.
Sur le versant littéraire, de nombreux rendez-vous seront proposés : un café littéraire, un arpentage, mais aussi une rencontre avec l’autrice Mariette Navarro, autour de son très beau dernier livre Palais de verre, récemment paru aux éditions Quidam (2024), qui raconte le pas de côté d’une femme qui un beau jour s’échappe de son milieu professionnel.
Au delà de la thématique centrale ou y faisant écho, des séances spéciales jalonneront cette édition : une enquête passionnante sur l’histoire et le fonctionnement de l’assurance chômage, avec L’Effet Bahamas de Hélène Crouzillat ; un dialogue sur l’institution pénitentiaire rassemblant des condamnés à perpétuité et des surveillants pénitentiaires dans Conversations de Bertrand Meunier. Travailleurs du vide de Jane Kozlowski, nous fera découvrir le quotidien d’un collectif circassien spécialisé dans la
haute voltige. Enfin, le film précieux de Jean Boiron-Lajous, Hors-service, grâce à un dispositif inventif, réunira cinq démissionnaires de la fonction publique pour nous interroger avec eux sur l’avenir du service public.
Grand temps fort du festival, la compétition internationale est encore cette année un lieu de découverte de nouveaux talents. Cette année, quinze films inédits, pour beaucoup montrés en avant-première, ont retenu notre attention tant dans la pertinence des sujets choisis que par la force de leur proposition formelle.
Les étudiant·es de l’université de Poitiers seront encore particulièrement mobilisé·es cette année pour co-animer certaines séances ou concocter le désormais immanquable journal du festival Traversez la rue… !
Cette édition sera traversée à de multiples endroits par le souffle de la création, reliée à la question de l’exil. Le festival s’ouvrira ainsi avec une escale littéraire et cinématographique autour d’Haïti, en présence des auteurs·rices Andrise Pierre et Rolaphton Mercure et de l’éditeur Jean Erian Samson, suivie de la projection du beau film de François Perlier Les âmes bossales, portrait d’un pays et d’hommes et de femmes en résistance. Le festival se terminera avec Ernest Cole, photographe, de Raoul Peck, Œil d’or du documentaire au festival de Cannes 2024, portrait émouvant de ce jeune photographe qui à tout juste 27 ans donna un visage à l’apartheid et passa la majeure partie de sa vie en exil aux États-Unis.
N’oubliez pas les moments conviviaux à l’Envers du bocal, le QG du festival, où un cocktail spécial Filmer le travail vous attend, entre autres surprises ! Et les afters au Zinc !
Très belle édition à toutes et tous et que vive encore et longtemps le travail des artistes qui se soucient du monde et le mettent en récit, par l’écriture, le cinéma, la peinture, la musique, la danse, nous permettent d’en saisir la complexité, d’aiguiser notre regard, notre pensée critique, de nous laisser traverser par des émotions qui nous déplacent et nous mettent en lien, ce travail précieux pour lequel toute l’équipe de Filmer le travail se mobilise chaque année.
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Écritures et résistances haïtiennes
Traversez la rue