Les ouvriers et la photographie : de 1945 à nos jours

La revue Images du travail, Travail des images entend rassembler chercheurs et professionnels autour d’hypothèses de travail communes. Il s’agit dans un premier temps de rendre compte de l’actualité de la recherche et des productions dans le champ, et d’offrir un espace de débat autour de ces questions. C’est dans cet échange que s’élabore la revue.

Pour cette deuxième revue semestriel, Images du travail, Travail des images s’intéresse aux ouvriers et à la photographie en croisant les regards disciplinaires et les points de vue : ouvriers photographiés mais aussi ouvriers photographes.

Les ouvriers et la photographie : de 1945 à nos jours

La photographie n’a jamais eu le monopole de la représentation du monde ouvrier. Peintres, dessinateurs, caricaturistes ou propagandistes, entre autres, ont largement contribué à en produire des images, dès avant l’invention de la photographie et par la suite. Mais sans doute faut-il considérer que la photographie a pu se prévaloir de deux avantages décisifs dans la concurrence qui a pu l’opposer aux autres modes de représentation : sa capacité à enregistrer le réel qui se présente devant son objectif et donc à le documenter avec une exactitude plus grande que le peintre, par exemple, et la possibilité dont elle s’est dotée très rapidement de reproduire ses images à l’infini, sur les supports les plus divers, pages de livres ou de revues notamment, ou encore cartes postales. Une photographie porte toujours la trace de quelque chose qui a été – cf. le « ça a été » de Roland Barthes (1980) –, elle peut, de ce fait, porter témoignage de la portion de réel qu’elle restitue et son témoignage a pu très tôt être diffusé largement, dans un souci d’intervention ou, plus modestement, d’alerte, selon les intentions du photographe.

Si la photographie s’est ainsi proposée d’emblée comme moyen d’agir sur le monde (Benjamin, 1935/2002), elle est aussi apparue à un moment historique qui invitait à rendre compte des profondes évolutions en cours. Le développement industriel est largement amorcé lorsque L. Daguerre ou W.H. Fox Talbot réalisent leurs premières images. Mais il ne s’agit pas là d’une simple concomitance. L’invention de la photographie ne cristallise pas seulement les progrès de la chimie moderne et ne substitue pas seulement un dispositif technique, à la fois chimique et mécanique, à la main du peintre ; il y a aussi que son développement s’est calé sur la production en série de marchandises standardisées, caractéristique de la transformation alors en cours du mode de production capitaliste (Rouillé, 2005). Les conditions dans lesquelles celle-ci se réalisait ont très vite attiré l’attention des observateurs les plus divers, des philanthropes aux théoriciens du mouvement social en passant par les médecins ou les sociologues. Si l’enquête utilisait encore avant tout les procédés de l’observation ou du questionnaire, les photographes n’ont pas tardé à fournir des images, quelquefois prises dans les lieux mêmes de production, plus fréquemment à leur périphérie.

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