Les fils de la terre documentaire sur la détresse des agriculteurs

Le documentaire sera présenté au Tap Castille à Poitiers en présence du réalisateur le lundi 13 mai à 20h30. plus d’informations sur la séance

« Les fils de la terre » est un documentaire exceptionnel d’Edouard Bergeon sur la détresse des agriculteurs. Notre coup de coeur du Figra 2012, un festival consacré au documentaire et au grand reportage.

À la fin de la semaine, cela fera treize ans que son père est mort. Christian était agriculteur, comme son père, son grand-père, son arrière-grand-père avant lui. Mais la chute du prix du lait, deux incendies et des dettes colossales sont venus à bout de la belle exploitation. À 45 ans, il a avalé des pesticides et s’est écroulé sur le lit de son fils. Edouard Bergeon avait seize ans.

Le bac en poche, le jeune homme fuit la ferme familiale. En 2004, il passe quelques semaines à l’école de journalisme de Tours. Juste assez pour écrire un article sur la détresse des petits exploitants. En 2007, embauché à France 2, il en fait un sujet pour le journal de 20h. Deux ans plus tard, le gouvernement parle de 400 suicides. L’Association des producteurs de lait indépendants, elle, en décompte 805. « Deux par jour ! » Le jeune réalisateur poursuit son enquête pour l’émission 66 Minutes. « Paysans : l’adieu à la terre » est « un reportage tourné en huit jours qui bombardait d’infos ».

Mais l’histoire le tarabuste encore. Edouard Bergeon veut s’en saisir, l’étreindre. Il veut du temps. « Je rêvais de suivre un agriculteur pendant un an au moins. Quatre saisons. Le temps long et lent de l’agriculture. » Quand il rencontre les chaînes, il abat ses cartes : « Mon père s’est suicidé. Je suis légitime. Je comprends ce qu’ils vivent et je peux les faire parler. Même les plus taiseux. » En juillet 2010, France 2 donne son feu vert.

La suite est une sorte de longue parenthèse. Quatorze mois hors du temps. Entre août 2010 et octobre 2011, Edouard retourne seize fois à Figeac, un peu en dessous de Brive-la-Gaillarde, pour filmer Sébastien Itard, un éleveur de 38 ans dépassé par ses 500 000 euros de dettes. Sa femme Céline, son père Jean-Claude, sa mère Bernadette, tous acceptent la présence délicate de sa caméra. Le premier matin du tournage, Edouard s’assoit à côté d’un patriarche bourru mais décidé : « On a échangé une poignée de main qui ne trompe pas. Ce jour-là, on a passé un contrat moral : quoi qu’il arrive, je filmerai pendant un an tout ce qui se passera dans sa famille. »

Le fils de paysan vit en apnée avec son film. Il filme le cul des vaches, les antidépresseurs que Sébastien avale au petit-déjeuner, l’accouchement de sa femme, ses accrochages avec son père, sa tentative de suicide, son hospitalisation d’office en hôpital psychiatrique. Et cette scène quand il en sort, à la veille de Noël : Jean-Claude lui jette une boule de neige, sa seule manière de communiquer. « Ça aurait été un caillou, ça aurait été pareil », assure le réalisateur, qui a couru pour s’éloigner et filmer avec la distance nécessaire. « Mon grand-père aussi était incapable de dire « je t’aime ». »

Fin 2011, Edouard Bergeon organise une projection dans un grand cinéma parisien. Les proches sont là, Sébastien aussi. A la fin du générique, il règne un silence de mort. Le réalisateur comprend que chacun retient ses émotions. Sébastien explose : « Je suis un con ! Tu vois bien, je suis un con ! » Les invités viennent uns à uns serrer la main de l’éleveur. « Je crois que ce film lui a fait du bien, à lui aussi. Il a été « reconnu ». »

« Les fils de la terre » a été diffusé sur France 2 le 28 février dernier. Dans la foulée, Edouard Bergeon a reçu 400 messages, de paysans, de veuves, d’enfants de suicidés, de syndicalistes et d’autres qui n’avaient rien à voir avec le milieu. « Je ne savais pas que filmer si simplement les saisons, la naissance, la vie, la mort parlerait autant aux gens. »

Marion Quillard

Source : La revue XXI

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