Depuis une trentaine d’années, les équipements numériques prolifèrent dans l’ensemble des secteurs économiques et des activités professionnelles. Ils s’y imposent à tous les étages des hiérarchies organisationnelles, aussi bien dans les environnements de production proprement dits (commandes numériques et vocales, progiciels de réalité augmentée), que dans le répertoire des outils de gestion et de communication les plus standards (bases de données, tableaux de bord, outils de pilotage, progiciels, réseaux sociaux d’entreprise…). Innervant la vaste gamme des innovations techniques qui accélèrent aujourd’hui les recompositions des activités de travail (automatisation, robotisation, cobotisation, intelligence artificielle…), ces technologies numériques omniprésentes donnent tantôt prise à des discours enthousiastes, voire prométhéens, tantôt à des mises en garde critiques, voire dénonciatrices.
Aux yeux de leurs zélateurs d’abord, elles portent nombre de promesses réjouissantes : une disparition prochaine des tâches les plus pénibles, l’instauration de relations de travail horizontales et plus collaboratives ou encore, pour chaque travailleur, l’accès à de nouvelles formes professionnelles d’expression de soi et de création. Sur le versant critique cette fois, se manifestent davantage préventions et inquiétudes. Sont dénoncés les effets de l’intensification du travail et les nouvelles formes de contrôle, rendues possibles par quantité de dispositifs informatisés, comme autant de risques renouvelés et banalisés de dépossession et d’aliénation.
Ces deux types de discours, qui cadrent de nombreux débats suscités par le déploiement du numérique, contraignent fortement la pensée du phénomène et interdisent de rendre pleinement justice à sa complexité. Le recours à l’histoire nous permet toutefois d’apercevoir que les prises de position passionnées dont nous faisons état n’ont rien d’absolument neuf. Elles font écho à une interrogation ancienne, celle des rapports de l’humain et de la technique, qui, à l’écart des oppositions frontales à travers lesquelles elle s’actualise, mérite d’être posée à nouveaux frais. Se rejoue, en particulier, la question de l’avenir du travail à l’ère numérique, qui s’était déjà posée avec l’automatisation : fin du travail ou valorisation de ce qu’il a de plus spécifiquement humain ? De même, l’image largement véhiculée d’une progression inéluctable et incontrôlable de « nouvelles technologies » extérieures au monde des humains, ne fait-elle pas oublier que les technologies demeurent au service d’intentions pleinement humaines ? Ici, les sciences sociales invitent à regarder du côté des logiques de travail, de production, d’organisation et de management pour saisir la portée de leur mise en œuvre. Elles analysent comment ces outils numériques encadrent, normalisent, contrôlent l’activité de travail et, en même temps, font l’objet d’appropriations, de contournements, voire de détournements. Enfin, les sociologues s’efforcent tout particulièrement, aujourd’hui, de rendre compte de ce qui se joue concrètement, au cœur des situations de travail contemporaines, dans les usages de ces technologies numériques, et les transformations de l’activité, des relations et des conditions de travail qu’elles induisent.
Journée organisée par Sofian Beldjerd (GRESCO, Université de Poitiers), Scarlett Salman (LISIS, Université Paris-Est, Marne-la-Vallée) et Hélène Stevens (GRESCO, Université de Poitiers).
En partenariat avec le GRESCO (Groupe de Recherches Sociologiques sur les Sociétés contemporaines, EA3815) et l’OIT (Organisation Internationale du Travail) qui fêtera son centenaire en 2019. Cette journée d’études propose de répondre à ces questions en convoquant, directement et indirectement, des travaux de recherche empiriques réalisés dans une diversité de contextes professionnels et en laissant une large place au débat et aux expériences et réflexions des acteurs professionnels et partenaires sociaux. Elle est ouverte à tout public et libre d’entrée.
Horaire : 9h00
Lieu : Espace Mendès France / Musée Sainte-Croix
Entrée gratuite / Inscription obligatoire
– Alain Rousset, président de la Région Nouvelle-Aquitaine,
– Alain Claeys, député maire de Poitiers,
– Yves Jean, président de l’Université de Poitiers,
– Cyril Cosme, directeur du Bureau de l’OIT pour la France
– Christian Papinot, directeur du GRESCO
– Sofian Beldjerd, Scarlett Salman, Hélène Stevens.
Gwenaëlle Rot, professeure de sociologie, Sciences Po, Centre de Sociologie des organisation : Rapports humains-machines : Que nous apprend l’histoire de la sociologie du travail?
Alors que l’on parle aujourd’hui de «révolution numérique » et « d’intelligence artificielle » pour désigner – parfois rapidement – des ruptures dans l’évolution du rapport des hommes et des machines, l’histoire de la sociologie du travail permet d’interroger l’actualité d’anciennes questions et analyses au regard des enjeux sociaux contemporains liés au développement du « numérique »..
– Anca Boboc, sociologue, chercheure dans le département des sciences sociales (SENSE) d’Orange Labs, spécialisée sur les usages du numérique en entreprise, membre du conseil scientifique de l’ANACT : Le management à l’épreuve du numérique.
Les impacts du numérique sur le travail sont à comprendre sur le fond des transformations plus profondes du monde du travail. Ils dépendent en grande partie de la manière dont le couplage entre les outils numériques et les situations réelles de travail s’opère, car les usages du numérique s’inscrivent dans le prolongement des échanges existants entre les salariés et ils dépendent du sens et de la valeur ajoutée que ces derniers trouvent à ces outils en contexte professionnel. Le management joue un rôle important dans la réalisation de ce couplage. Trois tensions entre numérique et travail seront mises en avant, autour de l’évolution des espaces-temps, du rapport entre autonomie et contrôle et de la frontière vie privée-vie professionnelle. Ces tensions renvoient vers des enjeux managériaux liés à de nouveaux équilibres à trouver entre présence et distance, à une meilleure connaissance des contraintes du travail réel et au pouvoir de remonter et faire reconnaître les retours du terrain.
– Patrice Flichy, professeur émérite de sociologie, Université de Paris-Est, Marne-la-Vallée, LATTS : Les nouvelles frontières du travail à l’ère numérique.
Depuis l’époque industrielle, de nombreux individus mènent à côté de leur travail salarié un autre travail réalisé par eux-mêmes (do it yourself), pour eux-mêmes ou pour leurs proches. Avec le numérique, les dispositifs d’auto-production et les plateformes, on est face à des opportunités beaucoup plus larges, le travail ouvert associe l’économie collaborative non marchande à l’économie marchande, dans un cadre mondialisé. L’auto-apprentissage court-circuite l’organisation des professions.
Projection d’une sélection d’archives télévisées sur l’introduction de technologies numériques dans le monde du travail. Sélection présentée par Jean-Paul Diboues, responsable documentaire INA.
En partenariat avec l’INA.
– Caroline Datchary, maîtresse de conférences, Université de
Toulouse 2, LISST CERS (UMR 5193) : Numèriques au travail : (Re)configurations attentionnelles
La numérisation croissante du travail est présentée tantôt comme une menace tantôt comme une promesse, et ce d’autant qu’elle est fréquemment autonomisée des autres aspects de l’activité de travail. Or, si celle-ci affecte bel et bien l’activité des travailleurs, elle le fait de manière fort différenciée suivant les métiers, les collectifs de travail, l’écologie de l’activité, les individus, les organisations, etc. Dès lors, alors même que cette démarche est nécessaire pour répondre aux attentes d’organisations en quête de leviers d’action, l’appréhender de manière transversale n’est pas une tâche aisée. Pour ce faire, nous proposons ici un détour par la prise en compte de l’écologie attentionnelle des travailleurs. En effet s’il est une dimension transversale à la numérisation du travail, cela est bien la (re)configuration des attentions. Cette approche a par ailleurs le mérite de souligner les interdépendances fortes entre les différents niveaux du salarié, du collectif de travail et de l’organisation dans son ensemble et de ne pas négliger dans l’analyse les différentes dimensions de l’activité du travailleur, y compris celles qui ne concernent pas directement le numérique.
– David Gaborieau, post-doctorant, Université Paris Est / Lab’Urba, ANR WORKLOG : Le guidage vocal dans les entrepôts de la grande distribution: Un taylorisme assisté par ordinateur.
Dans les entrepôts de la grande distribution, l’introduction du guidage vocal se caractérise par une forme de taylorisme assisté par ordinateur. Les ouvriers, désormais reliés au logiciel par reconnaissance vocale, sont soumis à un script très restreint et à des normes de productivité élevées. Et lorsque l’usure des corps devient problématique, c’est toujours la technologie qui est privilégiée comme porte de sortie, sous la forme d’entrepôts automatisés ou bien au travers de l’introduction de la cobotique. Cette trajectoire sociotechnique montre que la logistique, si elle est classée dans les services, appartient bien à un univers industriel où la machine est pensée comme substitut à des humains interchangeables.
– Nicolas Klein, post-doctorant, laboratoire Printemps (UVSQ/CNRS), et Marie Benedetto-Meyer, maîtresse de conférence associée à l’Université Versailles St Quentin-en-Yvelines / Laboratoire Printemps (UMR 8085) : Des dispositifs numériques au service des collaborations «transversales» ? Enjeux et usages des outils collaboratifs dans les grandes entreprises
La communication s’appuie sur l’analyse de deux dispositifs numériques : l’un vise à faire collaborer différents métiers de la « relation client » dans le but de fluidifier les échanges et résoudre des cas complexes de manière collaborative, l’autre est censé favoriser l’entraide entre différents métiers d’une entité de Recherche et Développement pour des échanges de savoirs ponctuels. A travers l’analyse des enjeux de ces outils (visées organisationnelles, inscription dans les pratiques,..), de leurs modalités d’introduction (conception, dispositifs d’accompagnement ou d’incitation,..), et de leurs usages observés, la communication interroge les conditions d’intégration, par le biais des dispositifs numériques, de nouvelles formes de collaboration et de coordination dans le travail, dans les espaces de travail et dans les organisations. Elle montre notamment l’importance des réflexions sur les modalités de travail préexistantes dans la conception et l’intégration des dispositifs collaboratifs.
– Janine Berg, économiste principale, Département des conditions du travail, BIT : Les conditions du travail dans les plateformes numériques : Un défi pour l’avenir du travail
En 2015 et 2017, l’OIT a mené deux enquêtes sur les conditions de travail des travailleurs sur six plateformes numériques afin de connaître leurs gains, leurs heures de travail, leur dépendance économique vis-à-vis des plate-formes ainsi que leurs antécédents professionnels et leur sécurité financière. Sur la base des principales conclusions de l’enquête, la présentation discutera des implications pour les décideurs politiques dans la régulation de ce type de travail.
Le numérique transforme les modes de production, l’organisation des entreprises et les relations de travail. Il existe une abondante littérature scientifique et prospective sur le sujet, qui semble indiquer que les conséquences de l’irruption du numérique dans les environnements de travail ne sont pas univoques. Le numérique peut en effet aboutir à une nouvelle organisation du travail fondée sur davantage d’autonomie pour les travailleurs, un management « bien-veillant », davantage orienté vers l’innovation, le bien-être et l’épanouissement. A l’inverse le numérique peut avoir pour effet de démultiplier les moyens de contrôle du travailleur, déstructurer les collectifs de travail, au point d’affaiblir les repères et le sens du travail, et contribuer à la montée des risques psychosociaux et du stress.
La table ronde doit permettre de débattre des risques et des opportunités induites par le numérique et de dégager les stratégies et les politiques que les partenaires sociaux peuvent mettre en œuvre dans l’entreprise pour tirer le meilleur parti des nouvelles technologies numériques : comment réguler la charge de travail, comment organiser l’autonomie des travailleurs, comment articuler vie professionnelle et vie privée (déconnection), comment organiser les flux d’informations et de reporting au sein des entreprises ? La table ronde devra ainsi faire le lien entre numérique et qualité de vie au travail, numérique et management, numérique et agenda syndical.
Table ronde avec Hervé Garnier, secrétaire national CFDT / Bernard Georges, responsable de la Prospective Stratégique au sein de la Direction des Ressources et de l’Innovation du Groupe Société Générale / Jean-Luc Molins, secrétaire national de l’Ugict-CGT / Sophie Thiery, membre du Conseil économique, social et environnemental.
– Marie-Anne Dujarier, professeure de sociologie à l’Université Paris-Diderot (Paris VII), membre du Laboratoire du changement social et politique, membre associée du LISE (CNAM/CNRS) : L’encadrement de l’activité humaine par des dispositifs numériques : Des bureaucraties aux start-up
Il s’agira ici de s’interroger sur les formes sociales de l’encadrement de l’activité humaine des travailleurs mais aussi des consommateurs, dans les organisations contemporaines. Dans les grandes organisations publiques et privées, nous observons qu’il est caractérisé par un « management par des dispositifs ». Ceux-ci, largement numériques, prescrivent, outillent et contrôlent à distance, l’action productive et marchande des hommes et des femmes. Au sein de ces bureaucraties néolibérales, comme à leurs marges, nous assistons simultanément à l’émergence d’une autre forme organisationnelle, avec les plateformes numériques d’échanges de tâches ou de services. Nous montrons qu’elles s’inscrivent dans des tendances sociologiques longues, et montrerons, à partir d’un cas empirique, comment elles «managent» les travailleurs et consommateurs. Si l’on prend le point de vue du travail et de son encadrement, il apparaît que ces deux types d’organisations apparemment opposées partagent en réalité de nombreux points communs.
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Horaire : 21h00 – Lieu : TAP Castille
Tarifs : 5,5€ / 3€
Alice Cares – Un film de Sander Burger
Documentaire / Pays-Bas / 76’ / 2014 / Keydocs
Alice est un carebot, un robot conçu pour prendre soin des gens. Un groupe de chercheurs universitaires tente de découvrir comment Alice doit parler et se comporter pour apaiser la solitude des plus âgés. Pendant plusieurs semaines, le robot rend visite à trois femmes volontaires qui participent à l’expérience. Les résultats sont surprenants. Un aperçu étonnant du futur.
Débat en présence d’Antoine Eon, maître de conférences en robotique, Institut PPrime UPR 3346, équipe Robioss, IUT de Poitiers.